corres
,
Lorsque nous entrons au réfectoire, époustouflante surprise: les tables sont recouvertes de nappes blanches ! ainsi les assiettes et couverts semblent d'apparat. Thérèse dont la piété se limite au signe de croix qui précède le bénédicité, se tient au garde à vous à proximité du passe plats et pique un fard lorsque, Monseigneur vient lui serrer la main. Pour cette grande occasion elle se fait aider d'une petite serveuse sans age à la tête de fouine, qui elle ne bénéficiera pas des largesses du prélat. La table d'honneur installée sur une estrade au fond du réfectoire, majestueuse, est ornée d'une profusion de fleurs. L'imposant évêque, telle une caricature de Dubout, préside et monsieur le supérieur prévoyant devance ses désirs, les préfets de discipline se tiennent droit comme des " I " et se penchent à tour de rôle pour répondre aux questions –pertinentes – que l'évêque veut bien leur adresser; l'abbé sans nom, tripote au fond de sa poche son carnet rouge à spirale. Charcuterie, poisson frais, rôti de bœuf en sauce et frites, fromage et pâtisserie, quel menu de fête. Monsieur l'abbé Carrel, malgré le privilège que lui donne le port de la soutane, se tient à distance des personnalités, Mazette le supérieur reste prévoyant, il connaît son rebelle; une phrase subversive de la part de l'abbé rouge et l'évêché de Sées et pourquoi pas la pourpre.. s'envolent!
L'après midi supportera quelques modifications au programme; Monseigneur arpentera en toute simplicité la cours de récréation et saluera les chers enfants; la consigne demeure: ne mettre un genou à terre face à l'Eminence et lui baiser l'anneau, lorsque dans son infini bonté il s'adressera à nous. !
Quatre heures et c'est le temps de la procession. Quelques draps blancs installés à proximité de la chapelle signalent le premier reposoir, des montagnes de pétales débordent des paniers en osier précieusement déposés sous le porche de la chapelle par la sœur infirmière à l'attention des petits. En avant, nous partons pour le religieux itinéraire en silence, souvent perturbés par des fou-rire nerveux; Marnaz encore lui, tente même de griller une cigarette avant l'entrée solennelle dans la chapelle. Chants, prières, re prières et encore des chants le tout en plein soleil sauf pour le prélat et le très Saint Sacrement, protégés par l'antique dais.
Quelle belle journée, Mazette ! Le soir lorsque les externes rentreront dans leurs foyers, pour clôturer cette belle fête, l'abbé Maupeu nous entretiendra à l'heure de l'étude du soir, des vertus de la prière, prière oh combien nécessaire en ces temps perturbés. Au dortoir, le petit oiseau semble absent, il nous laisse chahuter sans mot dire, ses yeux gonflés et rouges laissent deviner un abus du Calvados cinquantenaire offert par le diocèse Sée pour l'occasion.
Merci, Monseigneur.
Xavier le 13 mai 1962
Chère Maman,
Nous avons eu hier la procession de la fête Dieu avec l'évêque de Sée, Monseigneur Piogé, je l'avais déjà vu à Solesmes il y a un mois où il faisait une retraite il était installé dans le réfectoire des moines sur une table particulière à la droite du père abbé, il est énorme..
Ce matin nous avons eu la visite du commissaire de police d'Alençon en effet tu ne devineras jamais qui m'avait volé des affaires dans mon armoire : le nouveau prof de gym. celui qui remplace cet abruti de Célestin. En effet comme plusieurs élèves se plaignaient de vols dans leur armoire, le supérieur à fait une enquête, il paraît qu'il se cachait dans la journée dans les dortoirs et c'est ainsi qu'il l'a surpris. Maintenant il est en prison au château d'Alençon pour longtemps car ce n'est pas la première fois qu'il a des problèmes avec la justice. A la récrée. de dix heures j'ai été convoqué dans le salon du supérieur, ouvert exceptionnellement pour l'occasion; là se tenaient le commissaire et un policier et ils m'ont demandé ce que l'on m'avait volé. C'est le supérieur qui a porté plainte pour l'ensemble des élèves. Nous aurons la prof de géo. des cinquièmes pour le remplacer en attendant que Célestin revienne.
J'ai eu un onze en rédaction, c'était la meilleure note, on nous demandait de raconter un épisode de nos vacances de Noël, évidemment j'ai parlé de mon camp scout. En anglais je crois avoir la moyenne à la fin du trimestre ce qui me permettrait de passer en troisième sans trop de difficultés. Bien que cela ne m'amuse pas je comprends que cela soit nécessaire de refaire une année à Saint François, mais pour la seconde, je compte bien retourner à Join Lambert.
Le week end prochain, nous avons une journée de plus, c'est la journée de l'évêque, ça tombe très bien car les samedi et dimanche j'ai un raid survie en patrouille avec les scouts, on doit aller en forêt des Essarts et retrouver le dimanche les autres patrouilles à Bourgthroulde.
Peux-tu donner à Papa que je vois jeudi, mon atlas que j'ai eu à Noël. Je t'embrasse.
Xavier
Xavier d'Alençon mai 1962
Chère Christine,
Je te souhaite un bon anniversaire et espère que tu auras ton permis de conduire cette année pour aller à la piscine du collège avec toi cet été.
Maman à du te dire que mes résultats étaient très bons ce qui permettra de passer en troisième sans problème. Cela m'ennuie beaucoup de faire encore une année de pension surtout ici, mais je crois que c'est mieux pour Maman qu'il n'y ait pas trop de monde à la maison. Ce qui n'est pas normal, c'est que Jiss travaille moins bien que moi et qu'il n'aille pas en pension parce qu'il est fragile. Véronique et moi on a jamais rien à dire et il faut tout accepter.
Pour cet été, Maman veut absolument que tu me donnes des cours de latin quand on sera à la Bauce, je suis tellement nul que je te souhaite bien du courage.
Je t'embrasse très fort ma Vieille sœur.
Ton Cher Frère Xavier.
Toute petite chronique sur une journée ordinaire à la Bauce.
C'est bien connu, il ne fait jamais beau en Normandie au mois d'août, à l'exception des journées consacrées aux sacro-saints devoirs de vacances. Charlemagne a inventé l'école et Hachette le téléphérique, celui qui illustre ces traumatisants cahiers d'été où un immobile télécabine prétend aider " le jeune " à passer sans difficulté d'une classe à l'autre. Horreur !
A l'heure du chocolat au lait et des tartines beurrées Et confiturées, lorsqu'un rayon de soleil annonce la belle journée d'août tant espérée, patatras, l'ascenseur immobilisé entre le quatre et le trois, me rappelle à l'ordre. Soupir. Commentaire maternel : Si tu crois que cela m'amuse de te faire travailler, il fallait plus "bûcher" pendant l'année.. Et c'est parti pour une demi-heure de morale chrétienne, civique, familiale. C'est un rite, avant la toilette, une petite piqûre de rappel concernant le " travail " ne peut être que bénéfique.
Décidément, le beau temps persiste et signe, l'obsession de retrouver Pline devient insupportable. Christine qui ne manque pas de génie propose de monter dans le jardin une table pliante qui fera office de bureau d'écolier. Naïf je m'installe et me mets en conditions. Commentaire maternel : Une chaise de la salle à manger dans l'herbe ! Ça ne va pas ! veux tu la remettre en place immédiatement. Pour la concentration Plinienne.. c'est raté, d'autant plus que le commentaire s'éternise.. Tu ne te rends pas compte.. vous les garçons.. et ici je ne suis pas aidée.. et pourquoi s'installer dehors.. Enfin onze heures, récrée. Pline n'a guère avancé et ma syntaxe s'enlise de plus en plus. Oublions tout et ramassons des châtaignes. Bonne nouvelles, les poubelles s'entassent devant la cuisine, ce pourrait être l'occasion de les déposer au bout du chemin au volant de la deux chevaux. Oui mais.. il y a toujours un "Mais" dans les petits bonheurs. Oui, mais si tu y vas maintenant tu te remets à ton latin immédiatement en rentrant. Oui Maman.
L'heure du déjeuner approche, Papa viendra de Maromme, c'est la porte à coté, nous rejoindre, puis nous nous installerons dans la petite pièce aux murs ajourées, pour le repas familial. Changement dans la tradition, cette année, plus de vin à table, mais de la bière, de la Valstar, ainsi va la mode. Il fait beau et chaud, et timidement l'un d'entre nous amorce l'idée de se baigner à la piscine du collège. Rien de plus simple la piscine se situe à vingt minutes, oui mais (encore un oui mais) qui nous conduira? est-ce raisonnable pour Véronique de se baigner après un mal de gorge dans la nuit? le mercredi n'est-ce pas le jour de congé du gardien? et.. et où en sommes nous dans le déroulement des devoirs de vacances ? et encore une fois, patatras ! la bonne idée qui prime (mais qui l'a émise ? allez savoir) consiste à consacrer la journée complète aux révisions afin d'en être débarrassé pour demain et après demain. S'il est des moments de frustration dans la vie, en voilà bien un !! qui oserait penser que le lendemain, c'est une perturbation pluvieuse qui envahirait le pays par l'Ouest !
Afin d'éviter une petite chronique dégénérescente, clôturons !
Xavier juin 1962
Chère Maman,
Nous avons eu la visite de l'abbé Carrel, le prof. des troisièmes, qui est venu nous présenter le programme de l'année prochaine. A l'exception de deux élèves, nous passons tous en troisième. Ouf.. en effet les quatrièmes seront rattachées aux sixièmes et cinquièmes l'année prochaine avec l'abbé Truc-chouette comme surveillant, celui qui ne pense qu'à punir !
Dimanche prochain, c'est un petit-dimanche, vous pourrez venir me voir, sinon j'irai à Neuville. ( je préfère que vous veniez )
Cet après midi, l'abbé Vaubaillon ne nous a pas fait cours, pour nous remercier de son cadeau de fin d'année, il nous a lu des histoires.. en anglais, je n'ai rien compris et je pense qu'il en a fait exprès, il n'a même pas ouvert le paquet cadeau. Ce soir un petit groupe de la classe jouera un extrait du petit Prince de Saint Ex. puis il y aura une fête pour la fin de l'année avec des boissons et de gâteaux.
Dis moi vite pour dimanche, je t'embrasse.
Xavier
Xavier
Ma très chère sœur,
C'est la fin de l'année et on en tous assez de travailler. J'ai fait un bon coup à mon prof. d'anglais, mais tu me jures de ne rien dire, le mieux serait de brûler cette lettre dès que tu l'auras lue. J'ai pris à la bibliothèque de l'école, un vieux livre écrit en anglais puis j'ai fait un beau paquet cadeau et je l'ai déposé sur son bureau. Il ne l'a pas ouvert (heureusement) et pour nous remercier, il nous a raconté des histoires (drôles?) en anglais. Le problème c'est que Eissa l'a dit à ses parents qui sont venus le soir même voir le supérieur ! et ils auraient dit que c'était Marnaz qui avait fait le coup, comme il doit très renvoyé en fin d'année, ce n'est pas très grave.
Dimanche dernier, les parents n'ont pas pu venir me voir, alors j'ai été à Neuville avec un autre pensionnaire, Pinet, qui a dit qu'il allait chez une tante. On a déjeuné à la boulangerie de Neuville (ils me connaissent j'y suis déjà allé avec Potonier) il y avait du lapin, j'ai horreur de ça, puis après on a été à l'usine et on s'est amusé avec le Kart du neveu de Marc Lépine. Le soir on a raté le train de cinq heures, on est rentré juste pour le dîner en passant par l'infirmerie pour ne pas être vus, évidemment on a croisé l'abbé Bidault, mais comme il ne voit rien !
Vivement les vacances, les parents m'on dit qu'ils avaient loué une maison en Bretagne, et avec Jiss on va préparer le canoë pour en faire là bas.
Surtout, ne dit rien pour le prof. d'anglais ni pour Pinet.
Je t'embrasse ma chère petite sœur.
Ton très grand frère.