Le tour de Rouen
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Normands et Rouennais
Les Normands ont absorbé la Neustrie, conquis la Sicile et Naples, donné le frisson à Constantinople, fait et défait certains papes, découvert l’Amérique sans rien dire, enrichi la France malgré elle et bien plus encore quand on sait qu'ils ont régné plus de 150 ans sur le royaume d'Angleterre ! Mais pourquoi ce rappel avant de faire le tour de Rouen de la réussite ? Si tous les rouennais ne sont pas nés « Normand » tous ceux qui aiment leur ville portent en eux la fierté des Normands. Nous rencontrerons au cours de notre promenade dans les rues de la capitale de la Normandie, des rouennais de souche (!) des rouennais d’adoption, ainsi que des monuments dignes de la réussite des Normands. Nous prendrons tout notre temps pour découvrir ou redécouvrir ces personnages souvent célèbres, parfois oubliés.
Existe-t-il une définition universelle de la « réussite » ? Dans le cadre du tour de Rouen de la réussite, nous nous en tiendrons à la réussite liée aux valeurs humaines. Oublions « Amour, gloire et beauté » et ses célébrités éphémères, nos amis rouennais cités dans ce livre méritent mieux, c'est une évidence, ils méritent de la reconnaissance, de l’admiration et bien sur du respect. Ne les oublions pas.
Ce livret à pour but de rencontrer au détour d’une rue ou d'un bâtiment, des personnages qui ont marqué notre ville. La promenade se fait à pieds pour une durée d’environ deux heures. Chacun pourra, à sa convenance, prendre son temps pour flâner rue du Gros Horloge ou encore dans la magnifique cathédrale Notre Dame de l’Assomption.
Commençons notre tour de Rouen de la réussite par la Gare, mise en service en 1847 par la Compagnie du chemin de fer de Paris à Rouen. L’actuel bâtiment de style Art nouveau dit tardif, a été inauguré en 1928. Remarquable architecture dont nous admirerons l’horloge située au dessus du beffroi.
Maintenant, tournons le dos à la gare et levons les yeux, nous apercevons sur notre gauche un clocher, celui de l’église Saint Romain. Nous nous y rendons, et s’il pleut nous nous abriterons sous le portail.
Mais quelle est donc la réussite de Saint Romain, premier évêque de Rouen qui a donné son nom à cette église du XVII siècle ?
Quand Saint Romain fait la foire.
Saint Romain fait la foire à Rouen, tous les ans depuis le XI ème siècle ! Depuis plus de mille ans, au mois de novembre, la fête foraine de Rouen, après s’êtes appelée fête du Pardon, porte le nom du grand Saint. C'est la seconde fête foraine de France après la foire du Trône à Paris, quelle réussite ! Dans les années 1950 lorsque la foire Saint Romain s'étalait pour notre bonheur, sur les boulevards, les jeunes, accros de sensations fortes y croisaient leurs parents dans les « Auto-tamponneuses » quand les plus âgés flânaient à la recherche du «sublissime » pain d'épice de monsieur Nono ! Aujourd’hui, en 2018, la foire, installée sur l’esplanade Saint Gervais, regroupe plus de 220 attractions dont une vingtaine sont à la pointe des sensations fortes !
Que la fête continue encore un millénaire !
Revenons maintenant auprès du grand saint Romain. Nombreux sont les rouennais qui connaissent Saint Romain qui fut le premier évêque de Rouen dans la première partie du VII siècle, et dont le nom est associé à la légende de la « Gargouille ». La Gargouille était une sorte de monstre qui hantait les prés Saint Gervais, un marais situé non loin de la Seine. Le courageux évêque, conscient de la peur provoquée par le monstre, voulut combattre cette espèce de dragon, mais seul, un condamné à mort, à qui l'on avait promit la vie sauve en cas de réussite, accepta de le suivre. La « Gargouille » fut capturée et brûlée vive, et le prisonnier libéré. Par la suite le roi Dagobert accepta d'accorder à l'évêché de Rouen le droit de libérer un criminel une fois par an, le jour de l'Ascension, en souvenir de cet événement.
Retour à la place de la gare et installons-nous au café « Le Métropole » situé sur notre droite.
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Simone de Beauvoir au café.
Après la foire, passons aux choses sérieuses. Nous nous rendons au café « Le Métro » (le Métropole pour les horsains) où nous retrouvons au fond d'une petite salle, Simone, qui corrige les copies de ses élèves de philo avant de retrouver Jean Paul, demain au Havre. Vous l’avez compris, il s’agit de Simone de Beauvoir, professeur de philosophie au Lycée Jeanne d’Arc de Rouen. Simone de Beauvoir est née en 1908 à Paris. Philosophe, romancière, épistolière, mémorialiste et essayiste, elle est souvent considérée comme une théoricienne importante du féminisme, et a participé au mouvement de libération des femmes dans les années 1970. Ses sentiments pour Rouen et la Normandie sont mitigés. « Quant aux plaisirs de la promenade, j’y avais renoncé d’avance : civilisée, pluvieuse et fade, la Normandie ne m’inspirait pas. Mais la ville avait ses charmes : de vieux quartiers, de vieux marchés, des quais mélancoliques. J’y pris vite mes habitudes. » Quel caractère et aussi quelle réussite. Aujourd’hui une médiathèque, installée sur la rive gauche de la Seine porte désormais son nom. Simone de Beauvoir fréquentait également une autre brasserie située à proximité de la cathédrale, la brasserie Paul, nous nous y rendrons. Ci-dessous un extrait de sa vision de chez Paul, quel caractère (encore !)
« Je travaillais, je corrigeais des copies, je déjeunais à la brasserie Paul, rue Grand-Pont. C’était un long corridor, aux murs recouverts de glaces écaillées ; les banquettes de moleskine cachaient leur crin ; au fond, la salle s’élargissait, des hommes jouaient au billard et au bridge. Les garçons s’habillaient à l’ancienne, en noir, avec des tabliers blancs, et ils étaient tous très vieux ; il y avait peu de clients parce qu’on mangeait mal. Le silence, la nonchalance du service, l’antique lumière jaunie me plaisaient. […] un endroit où on se sent à l’abri de tout. Cette vieille brasserie défraîchie jouait ce rôle. […] Je m’y installais en sortant du lycée, vers quatre ou cinq heures, et j’écrivais »
Que l’on se rassure, l’endroit qu’Apollinaire et Philippe Delerm ont aussi apprécié - la plus ancienne brasserie de Rouen, encore en activité, n’est plus défraîchi et les serveurs ne sont plus nonchalants. On y sert une salade "comme l’aimait Simone de Beauvoir".
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Avant de poursuivre, nous vous recommandons la lecture de l’excellent ouvrage de Jean Marie Nicolle : Rouen « Ballades Philosophiques ». L’auteur consacre plusieurs pages à la vie de Simone de Beauvoir à Rouen. (édition Ipagine)
Sortons du « Métro » et pour la seconde fois levons les yeux. Notre regard est attiré sur notre gauche par une grande tour surmontée d'une toiture en poivrière.
Jeanne et Alice.
Il s'agit d'un donjon, dernier vestige du château de Rouen construit par Philippe Auguste en 1204. C'est bien là (ou presque) que fut emprisonnée notre grande Saint Jeanne d'Arc qui réussit incontestablement à bouter l'ennemi hors de nos frontières ! En réalité, la « tour de la Pucelle » où fut enfermée Jeanne, se situe au 102 de la rue Jeanne d’Arc, où il reste aujourd'hui quelques vestiges.
Un retour dans le temps s'impose. C'est dans la première partie du XV ème siècle, à la hauteur du cimetière Saint-Ouen, où s'est tenue la séance publique d'abjuration pour Jeanne, le 24 mai 1431. Suit alors sa condamnation qui sera rendue dans la salle de l'Officialité, proche de la rue Saint Romain, nous y reviendrons. Nous connaissons la suite, Jeanne sera brûlée vive le 30 mai 1431 place du Vieux Marché, où une grande croix rappelle l'emplacement du bûcher. Le cœur et les cendres de la sainte seront jetés dans la Seine afin qu'aucune relique ne reste.
Mais pourquoi Jeanne et Alice ? Pour Alice, il s’agit d’un clin d’œil à ces femmes, qui, dans l’ombre, ont à leur manière, réalisé une réussite. Ils sont nombreux, ils n’auront jamais une rue à leur nom et le passé les oubliera. Face au Donjon, se trouve un immeuble sans intérêt, qui fût le siège social d’un important cabinet de courtage, co-dirigé avec autorité, par Alice. Alice, originaire d’une famille modeste des Deux Sèvres, arrivée à Rouen en 1912, s’est imposée progressivement dans ce cabinet d'assurance pour en devenir pendant plus de vingt années la directrice des risques industriels. Bravo Alice et toutes les autres femmes pour leur Réussite professionnelle à une époque où les postes de responsabilités revenaient aux hommes ! A propos, et si on reparlait de madame de Beauvoir ?
Poursuivons notre promenade en descendant la rue Jeanne d’Arc jusqu’à la Seine, une bonne occasion de faire des rencontres parfois inattendues.
Au premier carrefour, saluons :
Jean Lecanuet, agrégé de philosophie à 22 ans, résistant, sénateur, ministre, maire de Rouen durant presque vingt ans. Cet « homme fort » de la Normandie, qui sera un des premiers piliers du Conseil Régional en 1974, sera amené à exercer d’éminentes fonctions sans jamais délaisser ses responsabilités locales. L’une de ses réussites locales sera de créer la première voie piétonne de France, rendant la rue du Gros Horloge attractive et très prisée des touristes.
Si Jean Lecanuet meurt avant que le « métrobus » de Rouen ne soit inauguré le 17 décembre 1994, il est toutefois régulièrement présenté comme l'initiateur de ce mode de transport désormais très prisé par les Rouennais.
Poursuivons notre descente vers la Seine et au second croisement, prenons à droite la rue Guillaume le Conquérant.
Guillaume le Conquerrant.
Accueillons ici l’exceptionnelle réussite de Guillaume, duc de Normandie et Roi d'angleterre. Rouennais d’adoption, le Duc Guillaume s’est marié à Rouen avec Mathilde de Flandre en 1047, et y est mort le 9 septembre 1087 au prieuré de Saint Gervais, prieuré dépendant de l’abbaye de Fécamp et situé à l’emplacement de l’actuelle église Saint Gervais.
Un peu d’histoire pour mieux comprendre cette réussite.
Guillaume, à la mort de son père n’a que sept ans, et dès son enfance (et aussi une grande partie de sa vie) il devra faire face à de nombreuses rebellions, souvent familiales. A dix neuf ans, face à une révolte des « Vieux Normands » qui voulaient sa perte, il sera sauvé grâce à l’intervention de son bouffon, le fidèle Gollet ! En 1047 (il a 20 ans) il reprend solidement en main le duché et deux ans plus tard il épouse Mathilde de Flandre malgré l’interdit du pape … Quelques années plus tard le pape Nicolas II absout les mariés sous conditions… de fonder (entre autres) deux monastères, en l’occurrence l’abbaye aux Hommes et l’abbaye aux Dames à Caen. En 1054 c’est la coalition du roi de France, Henri Premier qu’il met en difficulté, Guillaume confirme sa supériorité en rétablissant l’ordre en Normandie, il renforce et contrôle désormais les frontières du duché. Après bien d’autres épisodes souvent glorieux, c’est en janvier 1066, qu’il apprend la mort d’Edouard le Confesseur, roi d’Angleterre, et les ambitions d’Harold qui se fait couronner. Guillaume, présumé successeur d’Edouard, avec une armée de plus de 7000 hommes, composée de normands mais aussi des bretons, flamands. Il se fera couronner roi d’Angleterre le jour de Noël de la même année.
Une explication s’impose pour comprendre la légitimité de Guillaume à prendre la couronne d’Angleterre. Harold, le beau frère d’Edouard le Confesseur Roi d’Angleterre avait prêté serment à Guillaume en reconnaissant que lui, Guillaume, était l’unique héritier légitime d’Edouard le Confesseur. Edouard n’était-il pas par sa maman Emma, le petits fils de Richard sans Peur, lui même l’arrière grand père de Guillaume… Certes il s'agit d' un lien de famille par les femmes, mais pourquoi pas un début de légitimité ? Vive le Roi.
La Tapisserie de Bayeux retrace les événements ayant conduit à la bataille d'Hastings, ainsi que la bataille elle-même. Cette broderie fut vraisemblablement réalisée sur commande de l'évêque Odon de Bayeux, le demi-frère de Guillaume le Conquérant.
Tapisserie de Bayeux.
Avant de poursuivre notre promenade, admirons sur notre gauche la Palais de Justice, ancien échiquier de Normandie. Qui sera le Parlement de Normandie sous François Premier puis Palais de Justice au moment de la révolution française. De style Louis XII l'édifice a été très endommagé durant la seconde guerre mondiale puis reconstruit à l’identique (en grande partie) .
Reprenons maintenant la rue Jeanne d’Arc en direction de la Seine, au premier carrefour, saluons Rollon, l’ancêtre de Guillaume le Conquerrant. Au second croisement, nous retrouvons la première voie piétonne de France, la rue du Gros Horloge. Empruntons-la à gauche en direction la Cathédrale. Après avoir admiré "Le Gros Horloge" et être passé sous son passage renaissance, demi-tour, pour trouver ce petit ange à la tête à l’envers figurant sur le côté droit de l'arche extérieure, témoignage d'un tailleur de pierres sans doute mal rétribué ! Poursuivons notre tour de la réussite, et lorsque nous apercevrons la flèche de la Cathédrale, prenons à droite le passage Granier qui se poursuit par la rue de la Champmeslé.
Marie Desmares dite La Champmeslé est née à Rouen dans le quartier Saint Paul au pied de la colline Sainte Catherine. Parcourez tranquillement ce quartier entièrement détruit lors de la seconde guerre mondiale en écoutant la voix exceptionnelle de la tragédienne qui faisait dire à ses admirateurs, qu’en l'entendant, on était obligé de verser des larmes : « Avec son visage « plaisant », et sa taille « avantageuse, bien prise et fort noble » et sa voix étonnante, on ne pouvait s’empêcher de verser des larmes à chacune de ses apparitions. ». A 23 ans elle se lance dans une carrière théâtrale par attirance naturelle pour cet art. Elle débute à Rouen dans une troupe ambulante aux côtés d’un jeune parisien, également comédien et bon vivant, Charles Chevillet, qui a pris pour nom de théâtre celui de « Champmeslé » Elle l'épouse en 1666 dans l’Eglise Saint-Eloi de Rouen.
Les jeunes époux vont conquérir Paris en intégrant le Théâtre du Marais. L’année suivante, le couple se retrouve à l’Hôtel de Bourgogne. Frémissante, d’un talent de grande tragédienne à la voix sublime, Marie obtient un succès sans précédent. « La Champmeslé » est née ! Racine en tombe amoureux et devient très vite son amant. Il lui confie tous les grands rôles féminins de ses pièces. A chaque création, l’enthousiasme saisit les foules. Marie triomphe dans « Bajazet » (1672), « Mithridate » (1673), « Iphigénie » (1674) créée à Versailles devant le roi Louis XIV, et « Phèdre » (1677) qui restera son plus grand triomphe. Cette dernière pièce marque cependant sa rupture avec Racine après une liaison de 7 années.
Quelle réussite !
Boileau l’immortalisera par ces vers :
« Jamais Iphigénie en Aulide immolée,
Ne coûta tant de pleurs à la Grèce assemblée,
Que, dans l’heureux spectacle à mes yeux étalé,
En a fait sous son nom verser la Champmeslé ».
Elle sera l’une des premières et principales sociétaires de la Comédie Française, et s’éteindra sur scène à Auteuil à l’age de 56 ans, trois avant son mari, et sans enfant.
Bravo Marie
*Pour retrouver ce tableau de la Champmeslé, rendez-vous au Musée départemental Pierre Corneille situé à Petit Couronne (banlieue de Rouen). Un petit quart d’heure en voiture pour découvrir ce manoir typiquement Normand acquis par le père de Pierre Corneille en 1608. Vous y trouverez outre le portrait de Marie Desmares des sculptures, estampes, maquettes, peintures…
En avant.
Retour à la rue de la Champmeslé. A mi parcours de la rue de notre Célèbre Tragédienne, prenons à droite la rue du Général Leclerc pour rejoindre la rue Jeanne d’Arc que nous emprunterons par la gauche, direction la Seine. Avant de franchir le pont Jeanne d’Arc, observons sur notre gauche ce grand bâtiment construit au début des années soixante, il s’agit du Théâtre des Arts. Empruntons l’escaliers qui mène à sa grande terrasse face à la Seine. Mais qui-donc nous domine ?
Demi-tour (encore !) Nous sommes maintenant face à :
Pierre Corneille.
Nous connaissons tous la « Réussite » de Pierre, né à Rouen en 1606. Le grand Corneille, dramaturge, poète, académicien en 1647, l’auteur du Cid, Médée, l’Illusion Comique et bien d’autres pièces. Mais devant nous à cet instant, bien présent, il ne s’agit pas de l’homme de lettres, mais de sa statue. L’histoire comique de ce « Bronze » inauguré en 1834 est en elle même une véritable réussite. Nous passerons rapidement sur son coût très (très) élevé, et sur les festivités organisées lors de l'inauguration en présence du roi Louis Philippe et d’une pléiade de personnalités réunies ce 19 octobre 1834. au milieu du pont… « Corneille » . La statue restera fièrement campée à l’extrémité de l’île Lacroix malgré la destruction du pont en 1942. Les allemands seront très intéressés par cet impressionnant bronze pour alimenter leurs usines d’arment. Ils décidèrent donc de s’en emparer. Oh…..Mais c’était sans compter sur la dernière tragédie que Pierre Corneille nous réservait. En effet l’architecte de la ville, monsieur Vial trouva un moyen de sauver la statue, en sous-estimant son poids ! S’adressant à l’occupant monsieur Vial tente son pari. « Messieurs les allemands, la statue pèse une tonne, donc, avec votre grue pouvant supporter deux tonnes de charge, c’est bon, nous pouvons procéder au retirement. » En réalité la statue pesait plus de cinq tonnes… et lors de son enlèvement, le palan s’effondra et notre ami Pierre tomba au fond de la Seine. Pari gagné ? Pas encore, car la tragédie se déroulait en deux actes. Après avoir été repêché par les allemands, le bronze découpé en plusieurs morceaux, fut chargé sur un camion de l’armée, Fin du second acte, car le camion tombe en panne et l’ennemi fou de rage, baisse les bras et refuse de poursuivre le projet.
La statue sera installée face au théâtre des Arts, là où nous nous trouvons où une nouvelle inauguration, en grande pompe, aura lieue le 29 octobre 1957.
Avant de traverser la Seine, prenons quelques instants pour rendre hommage à l’un des plus grands chef d’orchestre de la première moitié du XX ème siècle. A deux pas du théâtre des Arts, nous empruntons le passage Saint Etienne des tonneliers et faisons une pause musicale (virtuelle). A notre gauche la rue Camille Saint Saëns et face à nous la rue Paul Paray.
Paul Paray, un chef d'orchestre mondialement connu. Ce tréportais, rouennais d'adoption durant toute sa jeunesse, inscrit à la Maîtrise Saint Evode* a eu sa première vocation de musicien sous les voûtes de la Cathédrale de Rouen.
Sa première réussite : Jouer de mémoire à l'age de 14 ans toute l’œuvre de J.S Bach ! A quinze ans ce pianiste, organiste, compositeur est très sollicité pour accompagner les artistes lyriques de passage à Rouen. Très attaché à notre belle ville, il créé en 1931 Sa Messe pour le cinquième centenaire de la mort de Jeanne d’Arc, un grand succès. Après la Seconde Guerre mondiale, emporté par un tourbillon d'activités diverses (la réorganisation de son Orchestre Colonne, la création du nouvel Orchestre philharmonique d'Israël, de nombreuses tournées internationales), Paul Paray cessera de composer pour se consacrer à son travail d'interprète, de bâtisseur d'orchestres, et d'ambassadeur de la musique française.
Sa seconde réussite est bien là : un bâtisseur d'orchestres. Il sera régulièrement invité par les plus grandes phalanges symphoniques, principalement en France et en Europe, en Amérique et en Israël.
De ses édifiantes carrières (compositeur, interprète, chef d'orchestre) et de ses nombreuses décorations, nous retiendrons qu'il fut élevé à la dignité de Grand Croix de la Légion d'honneur en 1975. Deux musiciens l'y avaient précédés : Gabriel Fauré et Camille Saint-Saëns. Comme cela tombe bien, nous sommes à deux pas de la trémie... Camille Saint-Saëns.
A propos... pour les rouennais et ceux qui connaissaient les villages proches de Rouen, un petit quiz... musical. Lors d'un rallye touristique, au départ de Rouen, les organisateurs nous remettaient un petit squelette en plastique et nous demandaient de l'accrocher sous le rétroviseur, puis ils nous remettaient un enveloppe dans la quelle figurait la première énigme : Pour vous rendre à la première étape, circulez.
A vous de trouver et bon courage !
*La Maîtrise Saint Evode, sans doute la plus ancienne de France selon Loïc Barrois son directeur (2017). Certains écrits laissent penser qu’au milieu du premier millénaire, il y avait déjà des chanteurs à Rouen. Et pas des moindres. La légende raconte que certains d’entre eux auraient été kidnappés en pleine nuit pour être emmenés à la Cour de François Ier qui avait été charmé par leurs voix exceptionnelles.
Direction les quais de la Seine que nous emprunterons par la droite au bas de la rue Jeanne d’Arc, et ensuite, nous traverserons le pont Guillaume le Conquérant. Oublions ici le Duc-Roi et intéressons-nous à son épouse Mathilde !
Bonne nouvelle !
Après la traversée du pont, nous pouvons nous diriger vers la Maison d’Arrêt, ou plus simplement faire une pose au parc de Lattre de Tassigny qui nous tend les bras, en effet la visite de la prison ne s’impose pas ! Prenez toutefois le temps de fermer les yeux, et tendez l’oreille. Vous n’entendez rien ? C’est Normal, l'écho s'est volatilisé avec le temps. Sachez que vous êtes à l’emplacement (quelques cent mètres près) où, en novembre 1066, la reine Mathilde, l’épouse de Guillaume le Conquérant, a appris la victoire de la bataille d’Hasting remportée par son célèbre mari Guillaume contre l’armée du roi Harold l’usurpateur ! La reine s’est alors exclamé haut et très fort: Bonne nouvelle ! Depuis ce temps, le quartier a pris tout naturellement le nom de Bonne Nouvelle ainsi que la prison. Cocasse pour un nom de prison…
A l’heure ou s'est déroulée la scène, la reine était en prière dans la chapelle du prieuré de Notre Dame des prés, prieuré qu’elle avait fondé quelques années avant, sur d’anciens marécages. Mais au-delà de cette anecdote, quelle est la réussite de la reine Mathilde, épouse de Guillaume et aussi petite fille d'Hugues Capet ?
Régente de la Normandie pendant la conquête de l'Angleterre, elle maintient le duché en paix et elle évite les conflits familiaux. Elle est aussi en très bons termes avec son époux, ainsi qu’avec ses huit enfants. On ne connaît d'ailleurs aucune maîtresse ni aucun enfant illégitime à Guillaume le Conquérant. La conquête de l'Angleterre fera d'elle une riche propriétaire terrienne, lui permettant de faire de nombreux dons à des associations religieuses, notamment aux abbayes de Saint Evroult, Cormeille, Cluny, sans oublier la Trinité de Caen (Abbaye aux Dames). Une vie de famille heureuse, n’est-ce pas une grande réussite ? Certes oui !
René Robert C d S le méconnu.
Revenons sur les quais de la Seine et avant d'emprunter de nouveau le pont Guillaume, et poursuivons quelques instants notre pour admirer à distance la cathédrale Notre Dame de l’Assomption. Magnifique édifice que nous contemplons en pensant tout naturellement à Monet (Claude pour les intimes...) nous y reviendrons. La circulation est très dense sur ce quai, et le bruit des voiture est déstabilisant pour le piéton. Je vous invite à descendre sur la berge en empruntant le petit escalier situé le long du pont Guillaume. Nous sommes désormais en contre bas du quai René Robert Cavelier de la Salle.
La Salle, plus connu en Amérique qu’en Normandie. Une Ecole porte son nom à Montréal, LaSalle est également une ville de l’Illinois et nous pourrions également citer : LaSalle Street à Chicago, La Salle river, Le quartier LaSalle de Winnipeg, les « La Salle » deuxième nom attribué aux Cadillac dans les années 1930 etc.
Infatigable, est René Robert, qui parcourt le Saint Laurent, le Mississippi traversant les futurs États-Unis. Il doit sa réussite à son entêtement, y compris auprès de roi Louis XIV. En effet, après avoir découvert et colonisé les terres qui porteront rapidement le nom de La Louisiane en l'honneur du roi Louis, ce dernier, s'adressant à La Salle (par l’intermédiaire d'un petit ambassadeur en quête de notoriété) lui conseillera de ne pas renouveler ce genre de découverte inutile (!) Peu de temps après cette insulte royale, René Robert falsifie la carte de la Louisiane et la présente au brave roi, qui alors, l'encourage à poursuivre sa mission afin de reprendre des terres aux alentours, occupées par les Espagnols. Bravo Louis ! Et surtout bravo La salle, cet élève Jésuite relevé de ses vœux pour « Infirmité Morale » qui sera assassiné à l'âge de 43 ans lors de son troisième voyage en Amérique.
Retour sur la rive droite. Tout en traversant le pont Guillaume, vous découvrirez sur votre gauche le pont Gustave-Flaubert mis en service en 2008, d'une portée de 120 mètres et d'une hauteur de 86 mètres. A ses pieds sur la rive droite se trouve une ancienne zone portuaire en pleine réhabilitation qui comprend entre autres le "Musée Maritime". Amateurs de maquettes de bateaux, ne vous privez pas, vous y découvrirez également toute l'histoire du port Fluvial et maritime agrémenté de nombreuses pièce d’exception. Rappelons ici pour information que le port de Rouen, au début des années 1930, était le premier port de France pour le tonnage des marchandises en réalisant un trafic de quinze millions de tonnes, il supplantait à l’époque, largement, le port de Marseille.
En arrivant sur la rive droite, un peu de marche pour rejoindre la place du Vieux Marché. Prendre sur votre droite le quai du Havre, puis après deux cents mètres environ, prendre à gauche la rue de Fontenelle.
de Beurre qui nous mène devant la cathédrale où nous ferons une pause. Observons cette magnifique tour à droite de l’édifice.
Edouard Delamare Deboutteville
En 1896, à l'exposition de Rouen, le président de la République, Félix Faure le fait nommer Edouard Delamarre Debouteville, officier de la Légion d'honneur, en récompense de son travail sur le moteur Simplex. A cette époque, il a déjà plus de 70 brevets exposés en France et à l’étranger. Cet homme célèbre mérite de figurer dans le « Tour de Rouen de la Réussite » Edouard Delamare Deboutteville, un génial inventeur, aussi doué que modeste, c’est sans doute la raison pour laquelle son nom ne vous est pas familier. Petit retour en arrière pour évoquer ses inventions.
Edouard Delamare Deboutteville, avec Léon Malandin, met au point en 1883 la première voiture actionnée par un moteur à explosion, et il dépose le premier brevet concernant une automobile le 12 février 1884, Son automobile, la première au monde mue par un moteur à 4 temps, est pourvue d'une banquette avant et d'une plate-forme arrière, et, est équipée de quatre roues, d'un moteur bicylindre horizontal fonctionnant d'abord au gaz et ensuite à l'essence de pétrole, d'une transmission aux roues arrière par chaîne, d'un arbre de transmission et d'un différentiel. Cette automobile circule pour la première fois sur la route de Fontaine-le-Bourg à Cailly (à 15 km de Rouen) en 1883. Il poursuit ses recherches et aboutit fabrication de son moteur, le « Simplex », dont on discute beaucoup à l'époque des applications tant au gaz pauvre de gazogène qu'aux gaz les plus divers, et fabriqué à Rouen dans les ateliers Powel. Par la suite Edouard DD obtient une médaille d’or à Paris pour le développement de gaz pauvre et le gazogène. Ajoutons à cette médaille; nombre de décorations pour ses travaux : sept médailles d’Or et trois diplômes d'honneur et le grand prix de l'Arward de Chicago ! Il est également à l’origine de la mytiliculture et l’élevage des huîtres, de trois volumes d'une grammaire d’étude sur le « Sanscrit », d’une collection d'oiseaux rares et de réflexions philosophiques.
Le fils d’Edouard, Marcel Delamare Deboutteville également un grand inventeur, fût aussi un homme généreux qui a aidé en toute discrétion ces « sans noms" dont nous parlions précédemment à propos de Jeanne et Alice. Un de ses amis, Maurice. inventeur d’un SMIC en 1918, et du développement anti-pollution des machines à vapeur, lui doit sa réussite. Bravo et merci Edouard et Marcel !
La Tour de Beurre, un des plus beaux exemples de l’art gothique flamboyant ! Un réussite d’architecture dont tous les rouennais connaissent l’histoire. La Tour de Beurre, c’est un nom légendaire attaché au monument le plus célèbre de la ville : la Cathédrale. Pas un guide n'omettra de vous signaler q'une partie des frais de sa construction a été couverts par le produit d'une aumône de carême payée par les habitants de Rouen pour pouvoir manger du beurre en cette période de jeûne. Les Normands ne pourraient-ils ne pas se passer de beurre ? Qu'importe, retenons cette réussite des bâtisseurs de cathédrales en effet, le dernier étage est d'une éblouissante virtuosité, lorsqu’il fait passer la tour du plan carré au plan octogonal. La statuaire sur la face Est, est de première importance, elle s’inspire de Ara Coeli, une sorte d’utopie de la Paix à travers un thème iconographique.
Tendons l’oreille (c’est devenu maintenant une habitude) en hommage à Maurice Lanfant qui fut le premier titulaire du carillon de la cathédrale.
Maurice Lanfant, a vu le jour en 1902 à Rouen, à deux pas de la Tour de Beurre dans une maison jouxtant la Tour Saint Romain (tour située à gauche du portail) Comme le grand chef Paul Paray (de 16 ans son aîné) dont nous avons évoqué ici la réussite, il fréquente la Maîtrise Saint Evode dès l’age de huit ans. Il y apprend notamment à jouer de l’orgue. Très précoce, à treize ans il devient titulaire de l’orgue de l’église Saint André, Il poursuivra sa formation en s’inscrivant à l’école des carillons de Malines. (Belgique). A 18 ans, il devient le titulaire du Carillon de la Cathédrale de Rouen, vingt neuf cloches installées dans la Tour De Beurre en 1920.
Maurice Lenfant, quel talent, quelle réussite ! Pendant près de cinquante ans, Maître, vous nous avez fait rêver au son des cloches !
Le Carillon de la cathédrale de Rouen (le troisième de France par l’importance de son nombre de cloches) comprend à ce jour 64 cloches.
Après la tragédie, la musique ou encore l’écriture, allons à la rencontre d’un architecte, mais avant d’emprunter une des rues les plus typiques rue de Rouen, la rue Saint Nicolas, prenons un dernier instant pour admirer la Tour de Beurre et plus particulièrement la couleur de sa pierre. Quelques historiens pensent que le nom de « Beurre » proviendrait de la couleur de la pierre... en effet, la cathédrale a été construite en « Pierres de Caumont » et la Tour de Beurre en « Pierres de la vallée de l'Oise » dont la couleur est légèrement jaune, alors pourquoi ne pas associer les deux thèses ?
La rue Saint Nicolas qui longe la cathédrale nous mène (après avoir traversé la rue de la République) devant l’église Saint Maclou, un joyau de l’art Gothique flamboyant. Nous sommes place Barthélemy.
Joseph Eugène Barthélemy
(1799 / 1882) Il fut un des tout premiers architectes français à s'intéresser à l'art du Moyen-Âge. Il réalisa des analyses graphiques de monuments, notamment les églises de Rouen et les cathédrales d'Amiens, Reims, Rouen et Coutances qu'il dessina entre 1838 et 1840. D'emblée, il dut sa célébrité à la construction de la basilique de Notre-Dame du Bon-Secours qu'il commença en 1840 : c'était la première fois que la réalisation d'un programme en néo-gothique archéologique aussi important et aussi complet était entreprise. Une réussite cette basilique très fréquentée par les Rouennais, il fallait « oser » créer un style néo-gothique. On lui doit aussi la survie de l’église Saint Maclou (face à nous) au cours des bombardements de la ville, lors de la seconde guerre mondiale. En effet, c’est lui qui a conçu en tant qu’architecte le clocher en pierre situé dans le prolongement de la tout lanterne. C’est le poids de la pierre, faisant corps avec les arcs boutant, qui a permis, en partie, de résister aux tremblements provoqués par les bombes. Merci Joseph Eugène pour votre anticipation, une réussite dont les Normands vous sont reconnaissant.
Un autre Maurice
Prenons un peu de temps et de hauteur. Rendez-vous virtuel à proximité du très populaire quartier de la « Grand Mare » pour y retrouver un gentleman, gentleman-cambrioleur bien sûr ! Entre la rue de Lausanne et la rue de Grieu, avec un peu de chance vous rencontrerez Arsène flânant dans la coquette rue Maurice Leblanc. Admirateur de Flaubert et Maupassant, Maurice connaîtra la célébrité avec Arsène. Et la réussite aussi ? Incontestablement, grâce à Maurice et Arsène, des centaines de visiteurs chaque années se rendent en Normandie sur les lieux –si bien décrits- des exploits de notre gentleman-cambrioleur.
Bravo les amis. Dévalons maintenant la colline pur retrouver les berges de la Seine.
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